Le partenariat entre MSCI et Moody’s porte un nouveau coup à la notation ESG européenne

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Option Finance 05/07/2024

Option Finance

"L’agence de rating américaine va progressivement abandonner son activité de notation ESG, celle-là même qu’elle avait acquise en rachetant le français Vigeo en 2019. Une décision qui devrait avoir d’importantes répercussions sur les investisseurs responsables.

C’est l’histoire d’une alliance entre deux mastodontes américains qui plonge dans le brouillard l’industrie européenne de la finance durable. Le 1er juillet, MSCI et Moody’s ont annoncé qu’ils nouaient un « partenariat stratégique révolutionnaire » : MSCI va pouvoir accéder à la base de données Orbis de Moody’s, qui compile les fiches d’identité de plus de 500 millions d’entreprises – la plupart non cotées – et à ses notations de crédit ; Moody’s, de son côté, va se reposer sur les données et modèles de MSCI, un des leaders en matière de recherche extra-financière. Et, ce faisant, va abandonner sa propre activité de notation ESG au prix, selon certaines sources, de probables licenciements.

Ce partenariat outre-Atlantique sonne ainsi comme le clap de fin définitif d'une aventure française qui avait commencé en 1997 par la création de l'agence Arese par Geneviève Ferone, poursuivie en 2002 par Vigeo sous la houlette de Nicole Notat, élargie en 2015 par la fusion avec le britannique Eiris avant la cession finale du groupe à l'agence de notation de crédit Moody's en 2019. Le passage de relais à l'Américain devait se faire sous le signe de la continuité, sans tourner le dos à l'approche d'origine, avec des équipes globalement stables. L'idée du nouveau Moody's ESG était même de donner davantage de moyens à l'analyse extra-financière et de la diffuser plus largement de l'autre côté de l'Atlantique.

Cette ambition affichée, dont certains doutaient déjà qu'elle puisse véritablement servir les intérêts européens, a donc fait long feu. Depuis le rachat en 2019, le contexte a, il est vrai, radicalement changé. L'ESG est désormais beaucoup plus régulé, en Europe du moins où un texte vient d'être approuvé par Bruxelles pour encadrer l'activité des agences de notation extra-financières. Au point de faire jeter l'éponge à l'Américain ?

« Je ne crois pas, glisse un responsable ISR attristé par la tournure des choses. Ce sont avant tout des règles de bon sens, sur la transparence de méthodologies et la prévention des conflits d'intérêts. »

C'est bien plus largement le modèle économique de la recherche ESG qui est en question. Pour élargir sans cesse le périmètre des émetteurs couverts, enrichir les indicateurs suivis ou encore accélérer les analyses de controverses, les agences ont besoin de moyens, humains et technologiques. Avec, en face, une demande qui s'effrite, sur fond de mouvement anti-ESG.

« Le marché de l'analyse extra-financière a grandi de façon exponentielle entre 2018 et 2022 mais il n'est pas extensible à l'infini, souligne un professionnel du secteur. Une fois les investisseurs équipés, il est difficile de les faire changer de fournisseurs, tant ces données sont profondément imbriquées dans les systèmes d'information. »

C'est pourtant bien ce que les asset managers et investisseurs institutionnels clients de Moody's ESG vont probablement devoir faire. Pour l'instant, ils peinent à en savoir plus sur les modalités du partenariat. Toutes les données ESG détaillées de MSCI leur seront-elles par exemple automatiquement accessibles, au même titre que ce dont ils disposaient à travers leur contrat chez Moody's, ou seulement la note agrégée ? La réponse à la question change significativement la donne pour les nombreux gérants qui ont fait le choix de développer leur propre méthodologie interne et sont donc davantage intéressés par les sous-indicateurs des piliers E, S et G que par cette notation globale. Le chantier pour les clients actuels de Moody's ESG sera, dans tous les cas, long et lourd : avec l'essor des fonds durables, sous l'aiguillon du règlement SFDR et du label ISR en particulier, les données ESG sont devenues indispensables pour tous les métiers d'un asset manager, de la gestion au reporting, en passant par la conformité et le commercial. Certains, sentant le vent tourner, s'y préparaient déjà depuis quelques semaines.

« Nous avions été informés par Moody's de sa volonté de mettre en place une nouvelle méthodologie en 2025, plus quantitative que qualitative, et nous étions inquiets de la dégradation du service », témoigne le responsable ISR déjà cité.

Les appels d'offres devraient ainsi se multiplier dans les mois qui viennent. Une aubaine pour les quelques gros acteurs anglo-saxons restants, comme ISS ESG (issu du rachat de l'allemand Oekom), Sustainalytics (acquis par Morningstar) ou bien sûr MSCI pour avoir accès à l'intégralité de son offre. Les rares acteurs purement européens, au premier rang desquels EthiFinance, risquent d'avoir plus de mal à en profiter, faute d'un périmètre d'émetteurs couverts suffisant. Au final, ce partenariat est « une mauvaise nouvelle pour la concurrence et l'innovation dans la prestation de ces services et ce sera au détriment des investisseurs », déplore Frédéric Ducoulombier, directeur de l'Edhec-Risk Climate Impact Institute dans un post sur LinkedIn. Des voix commencent à s'élever pour que la direction générale de la concurrence de la Commission européenne mette son nez dans l'opération. Et dans ce gâchis européen."

 

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